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dans des climats opposés une terre étrangère à celle de nos premiers jours ?

Pendant vos douces soirées, un vent d’hiver peut terminer ici des jours brûlants. Le soleil consumait l’herbe autour des vacheries ; le lendemain, les vaches se pressent pour sortir, elles croient la trouver rafraîchie par l’humidité de la nuit ; mais deux pieds de neige surchargent le toit sous lequel les voilà retenues, et elles seront réduites à boire leur propre lait. Je suis moi-même plus incertain, plus variable que ce climat bizarre. Ce que j’aime aujourd’hui, ce qui ne me déplaît pas, lorsque vous l’aurez lu, me déplaira peut-être, et le changement ne sera pas grand. Le temps me convient, il est calme, tout est muet ; je sors pour longtemps : un quart d’heure après on me voit rentrer. Un écureuil, en m’entendant, a grimpé jusqu’à la cime d’un sapin. Je laissais toutes ces idées ; un merle chante au-dessus de moi. Je reviens, je m’enferme dans mon cabinet. Il faut à la fin chercher un livre qui ne m’ennuie pas. Si l’on vient demander quelque chose, prendre un ordre, on s’excuse de me déranger ; mais ils m’ont rendu service. Cette amertume s’en va comme elle était venue ; si je suis distrait, je suis content. Ne le pouvais-je pas moi-même ? non. J’aime ma douleur, je m’y attache tant qu’elle dure ; quand elle n’est plus, j’y trouve une insigne folie.

Je suis bien changé, vous dis-je. Je me rappelle que la vie m’impatientait, et qu’il y a eu un moment où je la supportais comme un mal qui n’avait plus que quelques mois à durer. Mais ce souvenir me paraît maintenant celui d’une chose étrangère à moi ; il me surprendrait même, si la mobilité dans mes sensations pouvait me surprendre. Je ne vois pas du tout pourquoi partir, comme je ne vois pas bien pourquoi rester. Je suis las ; mais dans ma lassitude je trouve qu’on n’est pas mal quand on se repose. La