Page:Senancourt Obermann 1863.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vain ; je reste le même. Au milieu de ce que j’ai désiré, tout me manque ; je n’ai rien obtenu, je ne possède rien : l’ennui consume ma durée dans un long silence. Soit que les vaines sollicitudes de la vie me fassent oublier les choses naturelles, soit que l’inutile besoin de jouir me ramène à leur ombre, le vide m’environne tous les jours, et chaque saison semble l’étendre davantage autour de moi. Nulle intimité n’a consolé mes ennuis dans les longues brumes de l’hiver. Le printemps vint pour la nature, il ne vint pas pour moi. Les jours de vie réveillèrent tous les êtres : leur feu indomptable me fatigua sans me ranimer ; je devins étranger dans le monde heureux. Et maintenant les fleurs sont tombées, le lis a passé lui-même ; la chaleur augmente, les jours sont plus longs, les nuits sont plus belles. Saison heureuse ! Les beaux jours me sont inutiles, les douces nuits me sont amères. Paix des ombrages ! brisement des vagues ! silence ! lune ! oiseaux qui chantiez dans la nuit ! sentiments des jeunes années, qu’êtes-vous devenus ?

Les fantômes sont restés : ils paraissent devant moi : ils passent, repassent, s’éloignent, comme une nuée mobile sous cent formes pâles et gigantesques. Vainement je cherche à commencer avec tranquillité la nuit du tombeau ; mes yeux ne se ferment point. Ces fantômes de la vie se montrent sans relâche, en se jouant silencieusement ; ils approchent et fuient, s’abîment et reparaissent : je les vois tous, et je n’entends rien ; c’est une fumée ; je les cherche, ils ne sont plus. J’écoute, j’appelle, je n’entends pas ma voix elle-même, et je reste dans un vide intolérable, seul, perdu, incertain, pressé d’inquiétude et d’étonnement, au milieu des ombres errantes, dans l’espace impalpable et muet. Nature impénétrable ! ta splendeur m’accable, et tes bienfaits me consument. Que sont pour moi ces longs jours ? Leur lumière commence trop