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n’en avez rapporté aucun souvenir agréable, aucune observation ?...

« — Je sais la forme des chaudières où l’on fait le fromage, et je suis en état de juger si les planches des Tableaux topographiques de la Suisse sont exactes, ou si les artistes se sont amusés, ce qui leur est arrivé souvent. Que m’importe que des rochers roulés par quelques hommes aient écrasé un plus grand nombre d’hommes qui se trouvaient dessous ? Si la neige et la bise règnent neuf mois dans les prés où une chose si étonnante arriva jadis, je ne les choisirai pas pour y vivre maintenant. Je suis charmé qu’à Amsterdam, un peuple assez nombreux gagne du pain et de la bière en déchargeant des tonneaux de café ; pour moi, je trouve du café ailleurs sans respirer le mauvais air de la Hollande, et sans me morfondre à Hambourg. Tout pays a du bon : l’on prétend que Paris a moins de mauvais qu’un autre endroit ; je ne décide point cela, mais j’ai mes habitudes à Paris, et j’y reste. Quand on a du sens et de quoi vivre, on peut s’arranger partout où il y a des êtres sociables. Notre cœur, notre tête et notre bourse font plus à notre bonheur que les lieux. J’ai trouvé le plus hideux libertinage dans les déserts du Volga ; j’ai vu les plus risibles prétentions dans les humbles vallées des Alpes. A Astrakan, à Lausanne, à Naples, l’homme gémit comme à Paris : il rit à Paris comme à Lausanne ou à Naples. Partout les pauvres souffrent, et les autres se tourmentent. Il est vrai que la manière dont le peuple se divertit à Paris n’est guère la manière dont j’aime à voir rire le peuple ; mais convenez aussi que je ne saurais trouver ailleurs une société plus agréable et une vie plus commode. Je suis revenu de ces fantaisies qui absorbent trop de temps et de moyens. Je n’ai plus qu’un goût dominant ou, si vous voulez, une manie ; celle-là ne me quittera pas, car elle n’a rien