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Des champs toujours tempérés peuvent nourrir des savants profonds ; des sables toujours brûlés peuvent contenir des gymnosophistes et des ascètes. Mais la Grèce montagneuse, froide et douce, sévère et riante, la Grèce couverte de neige et d’oliviers, eut Orphée, Homère, Épiménide ; la Calédonie, plus difficile, plus changeante, plus polaire et moins heureuse, produisit Ossian.

Quand les arbres, les eaux, les nuages sont peuplés par les âmes des ancêtres, par les esprits des héros, par les dryades, par les divinités ; quand des êtres invisibles sont enchaînés dans les cavernes, ou portés par les vents ; quand ils errent sur les tombeaux silencieux, et qu’on les entend gémir dans les airs pendant la nuit ténébreuse, quelle patrie pour le cœur de l’homme ! quel monde pour l’éloquence[1] !

Sous un ciel toujours le même, dans une plaine sans bornes, des palmiers droits ombragent les rives d’un fleuve large et muet ; le musulman s’y fait asseoir sur des carreaux, il y fume tout le jour entre les éventails qu’on agite devant lui.

Mais des rochers moussus s’avancent sur l’abîme des vagues soulevées ; une brume épaisse les a séparés du monde pendant un long hiver : maintenant le ciel est beau, la violette et la fraise fleurissent, les jours grandissent, les forêts s’animent. Sur l’Océan tranquille, les filles des guerriers chantent les combats et l’espérance de la patrie. Voici que les nuages s’assemblent ; la mer se soulève, le tonnerre brise les chênes antiques ; les barques sont englouties ; la neige couvre les cimes ; les torrents ébranlent la cabane, ils creusent des précipices. Le vent change ; le ciel est clair et froid. A la lueur des étoiles, on

  1. C’est une grande facilité pour un poëte : celui qui veut dire tout ce qu’il imagine a un grand avantage sur celui qui ne doit dire que des choses positives, qui ne dit que ce qu’il croit.