ser. Dans d’autres lieux, je serais étranger ; je pourrais attendre un site plus heureux, et quand je veux reprocher aux choses l’impuissance et le néant où je vis, je saurais de quelle chose me plaindre : mais ici je ne puis l’attribuer qu’à des désirs vagues, à des besoins trompeurs. Il faut donc que je cherche en moi les ressources qui y sont peut-être sans que je les connaisse ; et si mon impatience est sans remède, mon incertitude sera du moins infinie.
Je dois avouer que j’aime à posséder, même sans jouir : soit que la vanité des choses, ne me laissant plus d’espoir, m’inspire une tristesse convenable à l’habitude de ma pensée ; soit que, n’ayant pas d’autres jouissances à attendre, je trouve de la douceur à une amertume qui ne fait pas précisément souffrir, et qui laisse l’âme découragée dans le repos d’une mollesse douloureuse. Tant d’indifférence pour des choses séduisantes par elles-mêmes, et autrefois désirées, triste témoignage de l’insatiable avidité de nos cœurs, flatte encore leur inquiétude ; elle paraît à leur ambition ingénieuse une marque de notre supériorité sur ce que les hommes cherchent, et sur toutes les choses que la nature nous avait données, comme assez grandes pour l’homme.
Je voudrais connaître la terre entière. Je voudrais, non pas la voir, mais l’avoir vue : la vie est trop courte pour que je surmonte ma paresse naturelle. Moi qui crains le moindre voyage, et même quelquefois un simple déplacement, irais-je me mettre à courir le monde, afin d’obtenir, si par hasard j’en revenais, le rare avantage de savoir, deux ou trois ans avant ma fin, des choses qui ne me serviraient pas !
Que celui-là voyage, qui compte sur ses moyens, qui préfère des sensations nouvelles, qui attend de ce qu’il ne connaît pas des succès ou des plaisirs, et pour qui voyager