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qu’il a établi donnassent à sa famille la félicité d’une vie simple, et non pas l’amertume des privations et de la misère. Chaque jour a pour les enfants un moment de fête tel qu’on en peut avoir chaque jour. Il ne finit jamais sans qu’ils se soient réjouis, sans que leurs parents aient eu le plaisir des pères, celui de voir leurs enfants devenir toujours meilleurs en restant toujours aussi contents. Le repas du soir se fait de bonne heure ; il est composé de choses simples, mais qu’ils aiment, et que souvent on leur laisse disposer eux-mêmes. Après le souper, les jeux en commun chez soi, ou chez des voisins honnêtes, les courses, la promenade, la gaieté nécessaire à leur âge, et si bonne à tout âge, ne leur manquent jamais. Tant le maître de la maison est convaincu que le bonheur attache aux vertus, comme les vertus disposent au bonheur.

Voilà comme il faudrait vivre ; voilà comme j’aimerais à faire, surtout si j’avais un revenu considérable. Mais vous savez quelle chimère je nourris dans ma pensée. Je n’y crois pas, et pourtant je ne saurais m’y refuser. Le sort, qui ne m’a donné ni femme, ni enfants, ni patrie ; je ne sais quelle inquiétude qui m’a isolé, qui m’a toujours empêché de prendre un rôle sur la scène du monde, ainsi que font les autres hommes ; ma destinée enfin, semble me retenir, elle me laisse dans l’attente, et ne me permet pas d’en sortir : elle ne dispose point de moi, mais elle m’empêche d’en disposer moi-même. Il semble qu’il y ait une force qui me retienne et me prépare en secret, que mon existence ait une fin terrestre encore inconnue, et que je sois réservé pour une chose que je ne saurais soupçonner. C’est une illusion peut-être ; cependant je ne puis volontairement détruire ce que je crois pressentir, ce que le temps peut me réserver en effet.

A la vérité, je pourrais m’arranger ici à peu près de la manière dont je parle ; j’aurais un objet insuffisant, mais