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obtenu beaucoup de respects, quoique j’eusse le malheur d’avoir la tête un peu dérangée.

Ceux qui ont à louer des maisons de quelque apparence ne m’abordent pas comme un homme ordinaire ; et moi je suis tenté de rendre ces mêmes hommages à mes louis quand je songe que voilà déjà un heureux. Hantz me donne de l’espérance ; si celui-là est satisfait sans que j’y aie pensé, d’autres le seront peut-être à présent que je puis quelque chose. Le dénûment, la gêne, l’incertitude lient les mains dans les choses mêmes que l’argent ne fait pas. On ne peut s’arranger en rien ; on ne peut avoir aucun projet suivi. On est au milieu d’hommes que la misère accable, on a quelque aisance extérieure, et cependant on ne peut rien faire pour eux : on ne peut même leur faire connaître cette impuissance, afin que du moins ils ne soient pas indignés. Où est celui qui songe à la fécondité de l’argent ? Les hommes le perdent comme ils dissipent leurs forces, leur santé, leurs ans. Il est si aisé de l’entasser ou de le prodiguer, si difficile de l’employer bien !

Je sais un curé, près de Fribourg, qui est mal vêtu, qui se nourrit mal, qui ne dépense pas un demi-batz sans nécessité ; mais il donne tout, et le donne avec intelligence. Un de ses paroissiens, je l’ai entendu, parlait de son avarice : mais cette avarice est bien belle !

Quand on s’arrête à l’importance du temps et à celle de l’argent, on ne peut voir qu’avec peine la perte d’une minute ou celle d’un batz. Cependant le train des choses nous entraîne ; une convenance arbitraire emporte vingt louis, tandis qu’un malheureux n’a pu obtenir un écu. Le hasard nous donne ou nous ôte beaucoup plus qu’il ne faudrait pour consoler l’infortuné. Un autre hasard condamne à l’inaction celui dont le génie aurait conservé l’état. Un boulet brise cette tête que l’on croyait destinée