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qu’on se permet : il est de la nature du plaisir qu’il soit possédé avec une sorte d’abandon et de plénitude. Il se dissipe lorsqu’on veut le borner autrement que par la nécessité ; et puisqu’il faut pourtant que la raison le borne, le seul moyen de concilier ces deux choses, qui sans cela seraient contraires, c’est d’imposer d’avance au plaisir la retenue d’une loi générale.

Quelque faible que soit une impression, le moment où elle agit sur nous est celui d’une sorte de passion. La chose actuelle est difficilement estimée à sa juste valeur : ainsi dans les objets de la vue, la proximité, la présence, agrandissent les dimensions. C’est avant les désirs qu’il faut se faire des principes contre eux. Dans le moment de la passion, le souvenir de cette règle n’est plus la voix importune de la froide réflexion, mais la loi de la nécessité, et cette loi n’attriste pas un homme sage.

Il est donc essentiel que la loi soit générale ; celle des cas particuliers est trop suspecte. Cependant abandonnons quelque chose aux circonstances : c’est une liberté que l’on conserve, parce qu’on n’a pu tout prévoir, et parce qu’il faut se soumettre à ses propres lois seulement de la même manière que notre nature nous a soumis à celles de la nécessité. Nos affections doivent avoir de l’indépendance, mais une indépendance contenue dans des limites qu’elle ne puisse passer. Elles sont semblables aux mouvements du corps, qui n’ont point de grâce s’ils sont gênés, contraints et trop uniformes, mais qui manquent de décence comme d’utilité, s’ils sont brusques, irréguliers, ou involontaires.

C’est un excès dans l’ordre même que de prétendre nuancer parfaitement, modérer, régler ses jouissances, et les ménager avec la plus sévère économie, pour les rendre durables et même perpétuelles. Cette régularité absolue est trop rarement possible : le plaisir nous sé-