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mais une erreur très-funeste, de condamner ce plaisir vrai, nécessaire, qui, toujours attendu, toujours renaissant, indépendant des saisons et prolongé sur la plus belle partie de nos jours, forme le lien le plus énergique et le plus séduisant des sociétés humaines. C’est une sagesse bien singulière qu’une sagesse contraire à l’ordre naturel. Toute faculté, toute énergie est une perfection[1]. Il est beau d’être plus fort que ses passions ; mais c’est stupidité d’applaudir au silence des sens et du cœur ; c’est se croire plus parfait, par cela même que l’on est moins capable de l’être.

Celui qui est homme sait aimer l’amour sans oublier que l’amour n’est qu’un accident de la vie : et, quand il aura ces illusions, il en jouira, il les possédera, mais sans oublier que les vérités les plus sévères sont encore avant les illusions les plus heureuses. Celui qui est homme sait choisir ou attendre avec prudence, aimer avec continuité, se donner sans faiblesse comme sans réserve. L’activité d’une passion profonde est pour lui l’ardeur du bien, le feu du génie : il trouve dans l’amour l’énergie voluptueuse, la mâle jouissance du cœur juste, sensible et grand ; il rencontre le bonheur, et sait s’en nourrir.

L’amour ridicule ou coupable est une faiblesse avilissante ; l’amour juste est le charme de la vie : la démence n’est que dans la gauche austérité qui confond un sentiment noble avec un sentiment vil, et qui condamne indistinctement l’amour, parce que, n’imaginant que des hommes abrutis, elle ne peut imaginer que des passions misérables.

  1. Quelques-uns vantent leur froideur comme le calme de la sagesse ; il en est qui prétendent au stérile bonheur d’être inaccessibles : c’est l’aveugle qui se croit mieux organisé que le commun des hommes, parce que la cécité lui évite des distractions.