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me paraît franc et susceptible d’attachement. Il est intelligent, et d’ailleurs il donne du cor avec plus de goût que je ne l’aurais espéré.

Le soir, dès que la lune est levée, je prends deux bateaux. Je n’ai dans le mien qu’un seul rameur ; et, quand nous sommes avancés sur le lac, il a une bouteille de vin à boire pour rester assis et ne dire mot. Hantz est dans l’autre bateau, dont les rameurs frappent les ondes en passant et repassant un peu au loin devant le mien, qui reste immobile, ou doucement entraîné par de faibles vagues. Il a avec lui son cor, et deux femmes allemandes chantent à l’unisson.

C’est un bien bon homme, et il faudra que je le fixe auprès de moi, puisqu’il y trouve son sort assez doux. Il me dit qu’il n’a plus d’inquiétude, et qu’il espère que je le garderai toujours. Je crois qu’il a raison : irais-je m’ôter le seul bien que j’aie, un homme qui est content ?

J’avais sacrifié pour des connaissances assez intimes les seules ressources qui me restassent alors. Pour laisser ensemble ceux qui paraissaient devoir trouver ensemble quelque bonheur, j’ai abandonné le seul espoir qui pût me flatter. Ces sacrifices et d’autres encore n’ont produit aucun bien ; mais voilà un valet qui est heureux, et je n’ai rien fait pour lui, si ce n’est de le traiter en homme. Je l’estime parce qu’il n’en est pas surpris : puisqu’il trouve cela tout simple, il n’en abusera point. Il n’est pas vrai d’ailleurs que ce soit la bonté qui produise ordinairement l’insolence ; c’est la faiblesse. Hantz voit bien que je lui parle avec une certaine confiance ; mais il sent fort bien aussi que je saurais parler en maître.

Vous ne soupçonneriez pas qu’il s’est mis à lire la Julie de Jean-Jacques. Hier, il disait, en dirigeant son bateau vers le rivage de Savoie : C’est donc là Meillerie ! Mais