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pur, un beau ciel, une vaste campagne offerte aux courses, aux découvertes, à la chasse, à la liberté. La paix laborieuse des fermes et des bois lui plaît mieux que la turbulente mollesse de nos prisons. Les peuples chasseurs ne conçoivent pas qu’un homme libre puisse se courber au travail de la terre : pour lui, il ne voit pas comment un homme peut s’enfermer dans une ville, et encore moins comment il aimera lui-même un jour ce qui le choque maintenant. Le temps viendra néanmoins où la plus belle campagne, quoique toujours belle à ses yeux, lui sera comme étrangère. Un nouvel ordre d’idées absorbera son attention ; d’autres sensations se mettront naturellement à la place de celles qui lui étaient seules naturelles. Quand le sentiment des choses factices lui sera aussi familier que celui des choses simples, celui-ci s’effacera insensiblement dans son cœur : ce n’est pas parce que le premier lui plaira plus, mais parce qu’il l’agitera davantage. Les relations de l’homme à l’homme excitent toutes nos passions ; elles sont accompagnées de tant de trouble, elles nous maintiennent dans une agitation si contenue, que le repos après elles nous accable, comme le silence de ces déserts nus où il n’y a ni variété ni mouvement, rien à chercher, rien à espérer. Les soins et le sentiment de la vie rustique animent l’âme sans l’inquiéter ; ils la rendent heureuse : les sollicitudes de la vie sociale l’agitent, l’entraînent, l’exaltent, la pressent de toutes parts ; ils l’asservissent. Ainsi le gros jeu retient l’homme en le fatiguant ; sa funeste habitude lui rend nécessaires ces alternatives d’espoir et de crainte qui le passionnent et le consument.

Il faut que je revienne à ce que je dois vous dire : cependant comptez que je ne manquerai pas de m’interrompre encore ; j’ai d’excellentes dispositions à raisonner mal à propos.