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saurais même pressentir l’enchaînement et les conséquences.

Il faut vous dire plus. L’exécution fut, il est vrai, aussi précipitée que la décision ; mais ce n’est pas le temps seul qui m’a manqué pour vous en écrire. Quand même je l’aurais eu, je crois que vous l’eussiez ignoré de même. J’aurais craint votre prudence : j’ai cru sentir cette fois la nécessité de n’en avoir pas. Une prudence étroite et pusillanime dans ceux de qui le sort m’a fait dépendre, a perdu mes premières années, et je crois bien qu’elle m’a nui pour toujours. La sagesse veut marcher entre la défiance et la témérité ; le sentier est difficile : il faut la suivre dans les choses qu’elle voit ; mais dans les choses inconnues nous n’avons que l’instinct. S’il est plus dangereux que la prudence, il fait aussi de plus grandes choses : il nous perd ou nous sauve ; sa témérité devient quelquefois notre seul asile, et c’est peut-être à lui de réparer les maux que la prudence a pu faire.

Il fallait laisser le joug s’appesantir sans retour, ou le secouer inconsidérément : l’alternative me parut inévitable. Si vous en jugez de même, dites-le-moi pour me rassurer. Vous savez assez quelle misérable chaîne on allait river. On voulait que je fisse ce qu’il m’était impossible de faire bien ; que j’eusse un état pour son produit, que j’employasse les facultés de mon être à ce qui choque essentiellement sa nature. Aurais-je dû me plier à une condescendance momentanée ; tromper un parent en lui persuadant que j’entreprenais pour l’avenir ce que je n’aurais commencé qu’avec le désir de le cesser ; et vivre ainsi dans un état violent, dans une répugnance perpétuelle ? Qu’il reconnaisse l’impuissance où j’étais de le satisfaire, qu’il m’excuse. Il finira par sentir que les conditions si diverses et si opposées, où les caractères les plus contraires trouvent ce qui leur est propre, ne