Vous souvient-il de nos vains désirs, de nos projets d’enfant ? La joie d’un beau ciel, l’oubli du monde, et la liberté des déserts !
Jeune enchantement d’un cœur qui croit au bonheur, qui veut ce qu’il désire, et ignore la vie ! Simplicité de l’espérance, qu’êtes-vous devenue ? Le silence des forêts, la pureté des eaux, les fruits naturels, l’habitude intime nous suffisaient alors. Le monde réel n’a rien qui remplace ces besoins d’un cœur juste, d’un esprit incertain, ce premier songe de nos premiers printemps.
Quand une heure plus favorable vient placer sur nos fronts une sérénité imprévue, quelque nuance fugitive de paix et de bien-être, l’heure suivante se hâte d’y fixer les traits chagrins et fatigués, les rides abreuvées d’amertume qui en effacent pour jamais la candeur primitive.
Depuis cet âge qui est déjà si loin de moi, les instants épars qui ont pu rappeler l’idée du bonheur ne forment pas dans ma vie un jour que je dusse consentir à voir renouveler. C’est ce qui caractérise ma fatigante destinée ; d’autres sont bien plus malheureux, mais j’ignore s’il fut jamais un homme moins heureux. Je me dis que l’on est porté à la plainte, et que l’on sent tous les détails de ses propres misères, tandis qu’on affaiblit ou qu’on ignore celles que l’on n’éprouve pas soi-même ; et pourtant je me crois juste en pensant que l’on ne saurait moins jouir, moins vivre, être plus constamment au-dessous de ses besoins.
Je ne suis pas souffrant, impatienté, irrité ; je suis las, abattu ; je suis dans l’accablement. Quelquefois, à la vérité, par un mouvement imprévu, je m’élance hors de la sphère étroite où je me sentais comprimé. Ce mouvement est si rapide, que je ne puis le prévenir. Ce sentiment me remplit et m’entraîne sans que j’aie pensé à la vanité de son impulsion : je perds ainsi ce repos raisonné