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des saints, quoique très-pénibles quelquefois, lui étaient précieux et nécessaires.

Pour lui, il était religieux sans être absorbé par la dévotion : il était religieux par devoir, mais sans fanatisme et sans faiblesses comme sans momerie ; pour réprimer ses passions, et non pour en suivre une plus particulière. Je n’assurerais pas même qu’il ait joui de cette conviction, sans laquelle la religion peut plaire, mais ne saurait suffire.

Ce n’est pas tout : on voyait comment il eût pu être heureux ; on sentait même que les causes de son malheur n’étaient pas dans lui. Mais sa femme eût été à peu près la même dans quelque situation qu’elle eût vécu ; elle eût trouvé partout le moyen de se tourmenter et d’affliger les autres, en ne voulant que le bien, en ne s’occupant nullement d’elle-même, en croyant sans cesse se sacrifier pour tous, mais ne sacrifiant jamais ses idées, et prenant sur elle tous les efforts, excepté celui de changer sa manière. Il semblait donc que son malheur appartînt en quelque sorte à sa nature ; et on était plus disposé à s’en consoler et à prendre là-dessus son parti, comme sur l’effet d’une destinée irrévocable. Au contraire, son mari eût vécu comme un autre, s’il eût vécu avec toute autre qu’avec elle. On sait quel remède trouver à un mal ordinaire, et surtout à un mal qui ne mérite pas de ménagement : mais c’est une misère à laquelle on ne peut espérer de terme, de ne pouvoir que plaindre celle dont la perpétuelle manie nous déplaît avec amitié, nous harcèle avec douceur, et nous impatiente toujours sans se déconcerter jamais, qui ne nous fait mal que par une sorte de nécessité, qui n’oppose à notre indignation que des larmes pieuses, qui en s’excusant fait pis encore qu’elle n’avait fait ; et qui avec de l’esprit, mais dans un aveuglement inconcevable, fait en gémissant tout ce qu’il faut pour nous pousser à bout.