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assez qu’ils n’atteignent pas à cette hauteur : accablés de leur faiblesse et du vide de leurs destins, ils n’ont pas une autre attente que de désirer, de s’agiter et de passer comme l’ombre qui n’a rien connu.

LETTRE XLIV.

Lyon, 15 juin, VI.

J’ai relu, j’ai pesé vos objections, ou, si vous voulez, vos reproches : c’est ici une question sérieuse ; je vais y répondre à peu près. Si les heures que l’on passe à discuter sont ordinairement perdues, celle qu’on passe à s’écrire ne le sont point.

Croyez-vous bien sérieusement que cette opinion, qui, dites-vous, ajoute à mon malheur, dépende de moi ? Le plus sûr est de croire : je ne le conteste pas. Vous me rappelez aussi ce que l’on n’a pas moins dit, que cette croyance est nécessaire pour sanctionner la morale.

J’observe d’abord que je ne prétends point décider, que j’aimerais même à ne pas nier, mais que je trouve au moins téméraire d’affirmer. Sans doute, c’est un malheur que de pencher à croire impossible ce dont on désirerait la réalité ; mais j’ignore comment on peut échapper à ce malheur[1] quand on y est tombé.

La mort, dites-vous, n’existe point pour l’homme. Vous trouvez impie le hic jacet. L’homme de bien, l’homme de génie n’est pas là sous ce marbre froid, dans cette cendre morte. Qui dit cela ? Dans ce sens hic jacet sera faux sur la tombe d’un chien ; son instinct fidèle et industrieux n’est plus là. Où est-il ? Il n’est plus.

Vous me demandez ce qu’est devenu le mouvement, l’esprit, l’âme de ce corps qui vient de se dissoudre : la

  1. Peut-être par quelque réflexion plus profonde, qui ramènerait des doutes plus religieux dans leur indépendance.