vous opposer à mes ennuis ? Pourquoi les blâmer ? puis-je sentir autrement ? Si, au contraire, notre sort particulier est dans nos mains, si l’homme peut choisir et vouloir, il existera pour lui des obstacles qu’il ne saurait vaincre et des misères auxquelles il ne pourra soustraire sa vie ; mais tout l’effort du genre humain ne pourrait faire plus contre lui que de l’anéantir. Celui-là seul peut être soumis à tout ce qui veut absolument vivre ; mais celui qui ne prétend à rien ne peut être soumis à rien. Vous exigez que je me résigne à des maux inévitables ; je le veux bien aussi ; mais quand je consens à tout quitter, il n’y a plus pour moi de maux inévitables.
Les biens nombreux qui restent à l’homme dans le malheur même ne sauraient me retenir. Il y a plus de biens que de maux ; cela est vrai dans le sens absolu, et pourtant ce serait s’abuser étrangement que de compter ainsi. Un seul mal que nous ne pouvons oublier anéantit l’effet de vingt biens dont nous paraissons jouir ; et, malgré les promesses du raisonnement, il est beaucoup de maux que l’on ne saurait cesser de sentir qu’avec des efforts et du temps, si du moins l’on n’est sectaire et un peu fanatique. Le temps, il est vrai, dissipe ces maux, et la résistance du sage les use plus vite encore ; mais l’industrieuse imagination des autres hommes les a tellement multipliés, qu’ils seront toujours remplacés avant leur terme : et comme les biens passent ainsi que les douleurs, y eût-il dans l’homme dix plaisirs pour une seule peine, si l’amertume d’une seule peine corrompt cent plaisirs pendant toute sa durée, la vie sera au moins indifférente et inutile à qui n’a plus d’illusions. Le mal reste, le bien n’est plus : par quel prestige, pour quelle fin porterais-je la vie ? Le dénoûment est connu ; qu’y a-t-il à faire encore ? La perte vraiment irréparable est celle des désirs.
Je sais qu’un penchant naturel attache l’homme à la