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Le sage choisit pour ami un caractère gai et complaisant. Un philosophe de vingt ans passe légèrement sur ce conseil, et c’est beaucoup s’il n’en est pas révolté, car il a rejeté les préjugés communs ; mais il en sentira l’importance quand il aura quitté ceux de la sagesse.

C’est peu de chose de n’être point comme le vulgaire des hommes ; mais c’est avoir fait un pas vers la sagesse, que de n’être plus comme le vulgaire des sages.

LETTRE XXXVI.

Lyon, 7 avril, VI.

Monts superbes, écroulement des neiges amoncelées, paix solitaire du vallon dans la forêt, feuilles jaunies qu’emporte le ruisseau silencieux ! que seriez-vous à l’homme, si vous ne lui parliez point des autres hommes ? La nature serait muette, s’ils n’étaient plus. Si je restais seul sur la terre, que me feraient et les sons de la nuit austère, et le silence solennel des grandes vallées, et la lumière du couchant dans un ciel rempli de mélancolie, sur les eaux calmes ? La nature sentie n’est que dans les rapports humains, et l’éloquence des choses n’est rien que l’éloquence de l’homme. La terre féconde, les cieux immenses, les eaux passagères ne sont qu’une expression des rapports que nos cœurs produisent et contiennent.

Convenance entière ; amitié des anciens ! Quand celui qui possédait l’affection sans bornes recevait des tablettes où il voyait les traits de la main d’un ami, lui restait-il des yeux pour examiner alors les beautés d’un site, ou les dimensions d’un glacier ? Mais les relations de la vie humaine sont multipliées ; la perception de ces rapports est incertaine, inquiète, pleine de froideurs et de dégoûts ; l’amitié antique est toujours loin de nos cœurs ou de notre destinée. Les liaisons restent incomplètes entre l’espoir et