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Ces deux forces tendent à l’équilibre ; mais elles n’y arrivent point, à moins que ce ne soit pour l’espèce entière. S’il n’y avait pas de tendance à l’équilibre, il n’y aurait pas d’ordre ; si l’équilibre s’établissait dans les détails, tout serait fixe, il n’y aurait pas de mouvement. Dans chacune de ces suppositions, il n’y aurait point un ensemble unique et varié, le monde ne serait pas.

Il me semble que l’homme très-malheureux, mais inégalement, et par reprises isolées, doit avoir une propension habituelle à la joie, au calme, aux jouissances affectueuses, à la confiance, à l’amitié, à la droiture.

L’homme très-malheureux, mais également, lentement, uniformément, sera dans une lutte perpétuelle des deux moteurs ; il sera d’une humeur incertaine, difficile, irritable. Toujours imaginant le bien, et toujours, par cette raison même, s’irritant du mal, minutieux dans le sentiment de cette alternative, il sera plus fatigué que séduit par les moindres illusions : il est aussitôt détrompé ; tout le décourage comme tout l’intéresse.

Celui qui est continuellement moitié heureux, en quelque sorte, et moitié malheureux, approchera de l’équilibre : assez égal, il sera bon plutôt que d’un grand caractère ; sa vie sera plus douce qu’heureuse ; il aura du jugement, et peu de génie.

Celui qui jouit habituellement, et sans avoir jamais de malheur visible, ne sera séduit par rien : il n’a plus besoin de jouir, et dans son bien-être extérieur, il éprouve secrètement un perpétuel besoin de souffrir. Il ne sera pas expansif, indulgent, aimant : mais il sera indifférent dans la jouissance des plus grands biens, susceptible de trouver un malheur dans le plus petit inconvénient. Habitué à ne pas éprouver de revers, il sera confiant, mais con-