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les objets l’intérêt, le désir, et ce sentiment délicieux des rapports de notre être avec les êtres extérieurs ; où l’on ne voit par-tout que le bien ; où l’on n’est affecté que des avantages que tout présente ; où les inconvéniens et les maux s’oublient devant notre sécurité ; où l’on aime également et le calme du soir et la splendeur de l’aurore, et la sombre profondeur des forêts vieillies et l’éclat des prairies renouvelées, l’agrément des lieux faciles ou fréquentés et l’âpreté des lieux sublimes ou des ruines abandonnées, le bruit des hommes et la paix des déserts. Où nous aimons chaque chose parce qu’elle est, où nous l’aimons comme elle est ; le sable parce qu’il cède sous nos pieds ; la pierre parce qu’elle nous soutient sans fléchir ; une terre unie parce qu’elle est facile à nos pas ; une roche sauvage parce qu’il la faut gravir avec effort ; l’épaisse forêt parce qu’elle voile l’éclat des cieux ; et le canal embrasé des feux du couchant parce qu’il reflette et multiplie toute sa lumière. Où nous aimons l’animé parce qu’il nous appelle hors de nous, et qu’il vit comme nous ; l’inanimé parce que nous le soumettons à notre être, et qu’il reçoit de nous sa destination ; la nature toute entière et dans ses