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jeune à nos yeux vieillis, et son immuable durée semble éloigner le terme de nos jours rapides, comme s’il nous étoit donné de nous renouveler avec elle ; comme si chaque printemps n’abrégeoit pas notre vie passagère ; comme si nous n’étions pas des parties mortelles du tout impérissable.

Heureux pourtant qui peut encore sentir ainsi, et n’a point effacé, sous nos formes factices, son empreinte primitive ! Heureux l’enfant de la nature qui, libre d’un joug étranger, chérit la main féconde qui prépare les délices de l’année ! Heureux celui dont les misères et les ennuis n’ont point séché le cœur, qui ne s’est pas éteint dans une froide langueur, qui sourit à la douce haleine du zéphyr[1] africain, renaît avec l’ombrage des forêts, et s’épanouit avec la fleur des prairies !

Et moi aussi j’ai aimé le printemps ; j’ai observé le bourgeon naissant, j’ai cherché les primevères et le muguet, j’ai cueilli la violette. J’ignore si ces tems se reproduiront encore. Je

  1. A l’équinoxe de Germinal, le zéphyr, ou vent d’Afrique, pénètre dans le Nord, y fond les glaces, chasse les frimats et hâte la végétation.

    Cette acception est l’une des plus connues de celles que les anciens donnoient à ce mot.