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l’isolement, en épuisant ses propres forces. Trop d’impressions différentes se combattent avec une sorte d’effort, et dans cette oscillation trop précipitée ou trop inégale, l’on ne sauroit être doucement entraîné. J’éviterois également d’être agité par des objets trop frappans ou en trop grand nombre. Je ne m’assiérai point auprès du fracas des cataractes ou sur un tertre qui domine une plaine illimitée ; mais je choisirai, dans un site bien circonscrit, la pierre mouillée par une onde qui roule seule dans le silence du vallon ; ou bien un tronc vieilli, couché dans la profondeur des forêts, sous le frémissement du feuillage et le murmure des hêtres que le vent fatigue pour les briser un jour comme lui. Je marcherai doucement, allant et revenant le long d’un sentier obscur et abandonné ; je n’y veux voir que l’herbe qui pare sa sollitude, la ronce qui se traîne sur ses bords, et la caverne où se refugièrent les proscrits, dont sa trace ancienne est le dernier monument. Souvent, au sein des montagnes, quand les vents engouffrés dans leurs gorges pressaient les vagues de leurs lacs solitaires, je recevois du perpétuel roulement des ondes expirantes, le sentiment profond de l’instabilité des choses et de l’éternel