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pressions nombreuses, mais leur foiblesse ne leur permet de les éprouver que légèrement ; les seconds ont assez de force pour recevoir des impressions profondes, mais ils dédaignent d’employer cette énergie supérieure pour des choses faciles au commun des hommes.

Les effets de ces principes universels et constans de nos affections se modifient dans chaque homme, et sont inclinés vers tel ou tel objet principal par le pouvoir déterminant de l’habitude. Entre plusieurs choses qui étoient également possibles, l’habitude a rendu les unes toutes naturelles et convenables, et laissé les autres encore difficiles[1] et comme étrangères.

    Lorsqu’évitant l’excès qui la rendroit funeste ou ridicule, elle reçoit ses limites de la nature des choses sur lesquelles elle s’exerce, elle affoiblit la passion qu’elle altère dans son creuset, mais elle la perpétue en écartant l’alliage, source de dégoûts, et en retenant par des raisons, tirées d’elle-même, ceux que le désir n’attire déjà plus. Elle annoblit des procédés, modère nos humeurs et prévient bien des maux en les déguisant dès leur principe sensible à elle seule.

    Quelle que vaine qu’elle soit, elle charme la vie sociale, et devient bonne pour qui, ayant perdu le bonheur d’être entraînén a besoin d’art pour sentir.

  1. Ainsi l’habitude est plus puissante sur les carac-