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et le fracas des glaciers qui se fendent, des rocs qui s’écroulent, et de la vaste ruine des hivers.

    les êtres extérieurs, celui par conséquent qui influe le plus directement sur son bien-être et celui, comme on l’a toujours éprouvé, dont la privation le rend le plus malheureux en le séparant de l’univers. C’est par lui principalement que la solitude devient intolérable aux habitans des grandes villes qui, même dans une vie oisive et sédentaire, avoient contractés par l’ouïe l’habitude d’une continuelle agitation ; c’est par lui que les habitans des plaines vaporeuses, qui retentissent dans leur silence apparent d’une fermentation perpétuelle, éprouvent un vide d’abord indéfinissable dans l’atmosphère pure et vraiment silencieuse des hautes montagnes. C’est encore son pouvoir qui, dans des tems presqu’oubliés, changea les passions et les mœurs des hordes sauvages, persuadées et entraînées invinciblement par l’éloquence des sons, non pas par cet art savant d’arranger leur succession d’une manière convenue, et dont l’esprit seul perçoive l’industrie ; mais par cette musique primitive qui n’imprime à nos organes que les ébranlemens dont ils sont naturellement susceptibles ; qui place dans une situation continue un effet simple et sublime, comme les accidens de la nature ; qui dit à tous les hommes ce que chaque homme a pu éprouver ; et dans son discours éloquent, introduit çà et là de ces accens caractérisés et indicibles, qui entraînent les âmes fortes et n’arrêtent point les autres parce qu’elles n’ont pas entendu.