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valu. Si quelque voluptueux, d’un sang ardent et d’une conduite modérée, dont la vie ne fut qu’espoir et désir, me répond par la négative, je lui opposerai mille heureux qui auront appris dans le cours insipide d’une vie toujours fortunée que la couronne paye bien rarement l’effort ; et que si les plaisirs[1] étoient vus dans l’avenir comme ils sont sentis dans le présent, ils seroient aussitôt dédaignés ; mille heureux qui n’auront trouvés dans leur bonheur même, que dégoût et satiété, et qui, bien avant le terme de leur triste carrière, détrompés d’espoir, auront vu sécher le désir dans leur cœur flétri, et n’auront continué non d’aimer, mais de vouloir les plaisirs, que parce qu’il faut bien enfin que le tems soit occupé par quelque chose, et qu’ils trouvoient dans leurs jouissances désormais vaines pour eux, cet avantage du moins qu’elles en imposoient à l’envie, et les faisoient croire heureux d’un bonheur qui n’étoit plus en eux.

Si l’on ne se laisse point prévenir par les premiers dehors, l’on convient assez généralement que ces hommes que les plaisirs envi-

  1. Il ne s’agit ici que de ceux que la nature ne donne pas seul à l’homme social.