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même[1] ; seul il a droit de guider les hommes, parce que lui seul, indépendant de toute vue partielle, de tout dessein individuel, les rassemble pour les protéger, et les modifie pour les régénérer. Inspiré par le sentiment du beau, de l’heureux, du convenable, de l’ordonné, du sublime, son esprit est harmonique, son cœur droit, son génie vaste, son ame indépendante ; il donne à tous ses sentimens l’empreinte d’une bienveillance univer-

  1. L’ignorant rejette ou admet tout ; le demi savant, ou même le savant qui n’est rien de plus, rejette tout ce qu’il ne peut expliquer, et aime à rejeter tout ce qu’admettent les esprits crédules. Mais c’est une nouvelle prévention de croire si souvent les hommes ainsi prévenus sans cause. Le sage, moins prompt à condamner ce qu’il n’entend pas bien encore, laisse au nombre des peut-être ce qui n’est ni prouvé ni nécessaire, mais n’est pas non plus absurde ou contradictoire. Il ne condamne pas une opinion uniquement parce qu’elle est populaire ; car ces hommes crédules et sans lumières ont reçu d’ailleurs presque toutes leurs opinions ; on les a trompé quand on l’a voulu, mais il est des choses sur lesquelles on ne l’a pu vouloir : ainsi la plupart de leurs préjugés mêmes sont fondés dans la nature ; ce sont des vérités éloignées, peu sensibles, ou très-subtiles, qu’ils ont seulement laissé altérer par indifférence ou par inaptitude à discerner, dès leur prin-