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partial, toujours grand, toujours juste, indépendant de tout intérêt, de toute passion, de toute considération humaine ; juge des lois et des opinions, mais toujours modéré, toujours pacifique ; disciple de la nature, ami des hommes, sectateur du vrai et du beau, prêt à s’immoler au bien public, il est le plus utile et le plus sublime des héros, le bienfaiteur de l’humanité, l’organe particulier de l’ordre universel, le plus grand des hommes.

Il n’est d’aucun âge et d’aucune contrée ; que font sur lui ces distinctions accidentelles du tems et de l’espace ? Les nations antiques qui consumèrent l’Arabie, sont les mêmes à ses yeux que les hordes nouvelles qui épuisent les restes productifs de ses sables stérilisés. Au Labrador, à Londres, à Delhi, il avoue les lois primitives, et réforme les altérations funestes. Il voit l’homme par-tout semblable, et par-tout égaré ; Cimbre ou Romain, Castillan ou Haïtien, Musulman ou Perse, Bonze ou Athé, il l’excuse, le plaint et le ramène. Seul il le pénètre, parce que seul il conçoit l’homme primitif ; seul il a droit de le juger, parce que seul il est libre de toute prévention ; seul il a droit de s’élever contre l’erreur, parce que seul il pressent la vérité dans l’erreur