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ou vil ; car lorsque nos affections ne sont pas entraînées par les grandes choses, il faut qu’elles s’attachent aux petites, et que le cœur trouve quelque part un mobile auquel il se livre. C’est cette cause qui met tant de différences entre les affections des hommes : nous naissons tous avec des penchans à peu près semblables, mais nos fortunes sont si variées, et notre dépendance si grande, qu’il n’est pas deux d’entre nous qui vivent dans des circonstances absolument les mêmes, et que nul ne peut éviter leur influence. Il est même bon qu’elles nous entraînent ainsi ; leur nécessité est la loi primitive de l’homme. L’ame étroite lui obéit par foiblesse, et l’ame sage par choix. Il faut vouloir les événemens tels qu’ils sont, hors dans les choses générales et dans celles qui sont du devoir. Voilà la raison première des lois. Il ne faut pas que la société, même la plus simple, soit livrée aux perpétuelles variations de chaque homme et de chaque chose ; il ne faut pas non plus que l’on délibère sans cesse, soit parce qu’alors il n’y auroit pas d’ensemble, soit parce que si même tous pouvoient être toujours réunis pour former une volonté générale, elle seroit encore mobile, et de plus, contraire à elle-même,