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vrés d’esprit et privés d’ame ; pour qui l’usage est la loi irrévocable ; qui voient dans le monde comme il va, le monde comme il doit aller ; que tout mouvement alarme ; que toute grande chose étonne ; dont toutes les conceptions étroites sont badines, fleuries, délicieuses qui chérissent surtout les arts aimables, et sont nés pour les choses délicates ; dont la capricieuse et indolente volupté cherche, quitte, reprend et dédaigne des nouveautés d’un goût exquis ; et qui par fois ne sachant de quoi parler, arrangent le monde social en prenant le sorbet dans un lieu charmant ; ces hommes avancés, dont vingt siècles de perfectionnement préparèrent l’ingénieuse légèreté, vous diront avec une grâce inexprimable : qu’il faut se contenter de réformer quelques abus ; que les secousses dérangent tout le monde ; que nous ne sommes plus dans les siècles grossiers de la première Grèce, ni dans les tems rustiques de nos bons aïeux ; qu’un peuple éclairé est fait pour les arts et les agrémens de la vie ; et que tout homme sage abandonne les rêves inutiles de la philosophie, se soucie peu des peuples qui l’écouteroient si rarement, vit pour soi, ne cherche que les amusemens de la société, et ne songe qu’à se rendre aimable.