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est factice, maniéré, frivole, restreint à force d’être contrebalancé, et confus à force d’être compliqué ; là il y a de la douceur sans générosité, de la vanité sans grandeur, de la morale sans vertu, des habitudes et point de mœurs, de la dévotion et point d’esprit religieux, une conduite honnête sans droiture, de l’ostentation sans magnanimité, sans valeur, sans fermeté ; là il y a des hommes célèbres sans caractère, et a des choses petites et vaines, un masque exagéré qui les déguise sans les améliorer. Suites nécessaires de cette extrême différence dans le sort que chaque individu peut se promettre. Parce que l’on a trop à choisir, on passe ses jours à tout essayer et ne rien suivre ; et parce que rien n’est semblable, les avantages que l’on a sont flétris par le regret de ce que l’on connoît, ou de ce que l’on imagine de meilleur. Tous ces possibles alimentent l’imagination : nous nous passionnons pour ce qui nous est refusé ; et nos affections, toujours occupées au-dehors, ne s’arrêtent point aux choses où nous devons chercher notre bien-être ; ainsi dans la situation même la plus favorable, nous ne saurions être satisfaits, car ce que nous avons est précisément ce que nous ne désirons plus avoir.