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la flattant ; ainsi substitués sans qu’elle y ait rien gagné, aux despotes qui l’asservissoient ouvertement et qui, n’ayant pas sa faveur, eussent peut-être moins osé.

L’égalité ne sera jamais qu’une chimère chez des hommes qui diffèrent trop par la pensée, le sort, les besoins et les vues. Qu’ils reçoivent de l’éducation, des principes semblables, et qu’ils les voyent consacrés par la conformité de leurs destinées ; qu’ils aient mêmes mœurs, mêmes besoins, mêmes droits, mêmes jouissances, surtout mêmes désirs et mêmes habitudes, alors seulement ils pourront être égaux. Mais vouloir que celui qui jouit de tout ne soit pas flatté par celui qui sans ses dons ne possédera rien ; mais vouloir que le génie dont les conceptions embrassent l’univers, se croye absolument l’égal du manœuvre qui n’a qu’une idée ; vouloir qu’il y ait des passions immodérées sans injustices pour les satisfaire, et un vaste pouvoir sans brigue pour l’obtenir ; vouloir des riches qui toujours favorisés, ne soient pas insolens ; un peuple qui toujours sujet, ne soit pas opprimé ; et toujours privé, ne soit pas envieux et rampant : c’est imaginer des mots et non connoître ou gouverner des hommes.

Si ces deux classes ne peuvent exister sans