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et montre son néant. Fatigué de lutter contre le malheur, l’infortuné s’appuie du moins sur l’espérance ; mais l’homme confiant qui se précipitoit vers la joie et n’a saisi qu’une ombre, chancelle dans son découragement et ne trouve plus rien qui le soutienne : l’espérance elle-même n’est plus. Quand le plaisir imaginaire, fantastique enfant de notre délire, s’avance sous ses formes douteuses, exagérées, l’illusion le précède, le revêt et l’embellit ; mais sa fuite le découvre et le spectre est suivi de satiété, de regrets, de dégoûts, et sur ses pas sinistres le désespoir s’élève et couvre l’univers flétri.

Les écarts de l’imagination produisent cette inquiétude vague et pénible qui remplace chez tant d’hommes l’heureux sentiment du désir. Le désir donne déjà quelque chose des jouissances qu’il demande, parce qu’il cherche une chose réelle, parce qu’il la promet, parce qu’il prouve la faculté de jouir. Il satisfait doublement l’homme par l’idée de ses biens et de son pouvoir ; mais l’inquiétude sans objet fixe, toujours plus avide parce qu’elle n’est point satisfaite, n’atteste que son impuissance et le néant de sa vie. Épuisé d’un besoin dont l’objet, toujours cherché, n’est jamais atteint, jamais connu, jamais espéré, il succombe à l’ir-