Page:Senancour - Rêveries sur la nature primitive de l’homme, 1802.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 177 )

Quant aux âmes fortes, elles ne s’affoibliront point par l’habitude ; elles n’en prendront que pour les petites choses dans lesquelles elles étaient déjà foibles, parce que, sûres de leurs moyens, elles ne déployent jamais une énergie superflue.

L’habitude est une loi indirecte que l’on reçoit plus volontiers que toute autre loi, et qui bientôt les peut faire toutes aimer, si elles sont bonnes ou même indifférentes de leur nature ; c’est donc par ce lien indirect qu’il conviendroit de retenir l’indomptable imagination.

L’imagination combine les idées conservées des objets simples, non selon leurs rapports réels qui forment les êtres existans, mais dans leurs rapports possibles ou supposés tels, dont résultent des êtres ou absens, ou chimériques, ou même fantastiques et contradictoires. Une imagination sage s’écarte peu de ce qui existe ou de ce qui est certainement possible : une imagination déréglée n’est pas limitée par les probables ; elle unit des parties incohérentes, elle crée des monstres ; son travail l’exalte, elle les voit présens, elle devient folie. Les autres facultés de l’homme qui n’ont pour objet que ce qui existe, étaient déjà susceptibles du trop