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inépuisables si l’on veut, mais toujours variés et rapides, il ne pourra qu’enflammer notre imagination ; il ne touchera pas notre cœur et n’aura fait que nous amuser. Mais qu’il chante la félicité pastorale[1], les goûts constans, les occupations uniformes et leurs plaisirs aussi invariables que simples et vrais, alors il nous intéresse puissamment ; il excite de profonds regrets ; nous sentons je ne sais quoi d’attendrissant dans ce charme inaltérable, que d’heureuses habitudes répandent sur de paisibles jours.




  1. En se gardant bien de cette affectation sentimentale, que l’on appelle du sentiment, parce qu’en effet on la met par-tout à sa place, mais que l’on nommeroit mieux Sentimanie.

    L’habitude des sensations vives, inconstantes et efféminées devoit introduire, surtout parmi nous, ce misérable jargon, supplément des sensations mâles et profondes, qui n’appartiennent qu’à l’homme d’une vaste sensibilité. La vaine apparence d’un bien est souvent plus pénible que son absence même. L’on découvre avec dégoût un singe caché sous le masque humain ; et l’homme sensible doit préférer à l’homme sentimental l’homme indifférent et farouche.