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Le plaisir énerve les âmes. Je veux qu’il éteigne les passions des sujets et tous les genres de fanatisme jusqu’à celui de la liberté ; mais pourquoi notre liberté elle-même a-t-elle besoin de fanatiques ? quelle prudence l’a caché dans les mystères du lieu saint ? ne seroit-elle que l’oppression déguisée d’un siècle plus adroit[1] ?

Le plaisir ne sauroit nous satisfaire. Parce que, trompés, nous le cherchons où il n’est pas ; parce que, dépravés, nous l’avilissons, nous le flétrissons ; parce qu’égarés par l’inquiétude de nos chimères vagues et exagérées, nous ne saurions plus jouir de ce qui est simple, positif et vrai.

Le plaisir est vain, il passe rapidement, les regrets et la douleur lui succèdent. Parce que nous ne savons pas le fixer, le prolonger sur la vie ; parce que, voulant excessivement, nous

  1. Notre siècle a du moins gagné à cet égard. C’est beaucoup de s’être vivement rapproché de ce que l’on ne pouvoit atteindre, et d’en avoir reconnu le besoin. La véritable liberté sociale est impossible aux grandes sociétés, et incompatible avec leurs mœurs. L’anéantissement d’un ordre de choses essentiellement mauvais, sera toujours une grande facilité pour l’amélioration générale, si l’on parvient à saper encore un préjugé le plus grand de tous et le plus-funeste.