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La volonté divine est antérieure aux principes humains. Vous mourrez pour nous, avantage inestimable qui vous donnera quelque part une vie bien meilleure et bien plus durable. Ne craignez point de massacrer vos frères au nom du Dieu qui vous ordonne de les aimer ; il n’y a point là de contradiction, hommes de peu de foi. C’est par amour que nous les tuons : nous en égorgerons cent mille ; mais nous circoncirons les autres. D’ailleurs il y a une différence si prodigieuse entre des infidèles et des vrais croyans, qu’il n’est pas bien prouvé que ceux-là soient aussi des hommes.

Ainsi parla l’imposture appuyée sur le fanatisme, insultant à la raison pour se soustraire à l’examen, divinisant l’absurdité par l’audace et semant les haines pour obtenir l’empire.

L’homme devenu trop libre[1] par l’extension de ses facultés, abusoit de ses désirs et de ses moyens. On vit qu’il falloit un but et des limites : on parla de devoirs, de bonheur. Mais, en marchant où le devoir n’étoit point, l’homme s’écartoit aussi du bonheur : on mit par-tout

  1. Je veux dire libre d’aspirer à trop de choses seulement possibles, libre de choisir entre des modifications trop diverses de sa détermination primitive.