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l’apathie, l’usage ou l’excès, les lois du devoir ou les chaînes de l’opinion, les vertus de la force ou les crimes de la fureur ? A-t-il précisé ce que légitime son besoin ou sa nature ; ce qu’il doit aux usages, aux lois, à la chose publique ; ce qu’il doit aux hommes ? Y a-t-il quelque règle de justice, quelque permanence en lui ou hors de lui ? est-il quelque certitude ou dans son être ou dans les choses ? La morale ! mais s’il ne l’étudie point il n’en aura pas d’autre que les besoins de son cœur, et ce n’est pas celle-là que vous demandez de lui ; s’il connoît l’homme et qu’il examine la morale de vos sociétés, soit dans vos préceptes, soit dans votre histoire, que pensez-vous qu’il puisse jamais imaginer de plus inepte et de plus immoral ? Qu’est-ce donc qui le dirige, ce qui vous entraîne tous, l’aveugle cours des choses ? qu’est-ce qui l’anime, ce qui vous anime tous, l’intérêt personnel ? qu’est-ce qui le soutient, l’illusion de ce qui est, l’espoir de ce qu’il imagine ? S’il desire l’avenir, c’est parce qu’il ne le connoît pas ; s’il tient à la vie, c’est parce qu’il s’élance avec ses jours, c’est qu’il est ébloui de leur rapidité ; par cela même qu’il les hait, il s’attache à eux. Impatient de les voir meilleurs, il croit trouver des biens