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cherchois que des violettes ; mais m’approchant d’un vieux hêtre, au pied duquel je croyois en trouver, je vis écrit sur son écorce : Quand le cœur s’ouvre aux passions, il s’ouvre à l’ennui de la vie[1].

Toutes les fois que ce mot profond revient à ma mémoire, un mouvement irrésistible d’admiration et de douleur fait frémir tout mon être au sentiment des misères humaines. Nous ne jouissons plus que dans les courts momens d’illusion et d’oubli, tant notre raison savante a réglé nos sensations et réformé dans nous la nature. Dès que cette triste inscription m’eut ramené à moi-même, dès que j’eus apperçu l’homme dans ces lieux encore heureux, les regrets flétrirent leur vaine beauté : leur solitude fut trop austère, leur silence fut de l’ennui, leur paix de l’abandon, le roulement du ruisseau m’attrista, et le parfum des fleurs ne dit plus rien à mon cœur.

Quelle déviation a pu rendre une espèce toute entière victime de ses propres affections, l’affliger de ce qu’il y avoit d’heureux dans son être, l’aliéner de ses désirs mêmes, et faire de ces moyens de jouissance, de ces

  1. Émile, liv. V.