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indéfinissable : élevant ses bords irréguliers dans la profondeur des ombrages y elle y dessine des asiles de paix et d’obscurité, que protègent les cimes des hêtres et des pins balancés sur le front des collines. Les bois plus ou moins avancés, descendent par intervalles jusques dans la prairie qu’une eau bien tranquille et bien pure traverse en s’égarant dans sa solitude ; même on les voit çà et là, oubliant leur silencieuse vétusté, descendre jusqu’au ruisseau pour redire, dans leurs troncs caverneux, le murmure de son eau plaintive. Dès qu’un souffle insensible traverse le vallon, le peuplier s’agite et frémit sur sa tige élancée, le Narcisse et le Lyseron inclinent leur tête, se croyant frappés de tout l’effort des autans, et l’on voit frissonner cette onde qui n’a pas connu de plus grands orages.

Un jour je m’y étois arrêté long-tems, je remarquai que nul homme n’y venoit oublier, une heure du moins, les sollicitudes de la vie ; quelquefois on voyoit passer, à la hâte, des femmes chargées de bois mort, dont la misère avoit séché le cœur, ou des chasseurs, insensibles aux beautés solitaires, qui cherchoient avidement les traces des daims et des faons, car ils se plaisoient à les détruire. Pour moi je n’y