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quelque chose de plus achevé : elle réunit l’espoir et la mélancolie, tandis que les joies du printemps manquent de douleur, et que la mélancolie d’automne n’a point d’espérance. Cette volupté ineffable mais précaire, se soustrait par son inconstance même à l’art stérile qui efface les impressions en raisonnant les jouissances. C’est ainsi que nulle fleur ne nous touche davantage que la Violette cachée sous l’herbe : le sentiment qui en émane s’offre à nous et s’y refuse aussitôt ; nous le cherchons en vain, un léger souffle a entraîné son parfum, il le ramène et l’entraîne encore, et son caprice invisible a fait notre volupté. Les fleurs les plus vantées ne valent point la violette : si simple, elle fait oublier tout leur éclat, elle attache plus que la Rose elle-même. La rose est comme le plaisir, son charme est le délire d’un moment ; celui de la violette, plus profond et plus mystérieux, pénètre doucement le cœur que la rose agite. La rose commande le plaisir, elle convient à la joie, elle peut fleurir dans nos jardins. La violette inspire de paisibles délices, elle appartient au bonheur ; ne la cherchez que dans les prés inclinés au midi, au pied des bois, près du libre cours des eaux. La rose est connue des voluptueux,