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Si nous jugeons de cette école par ses disciples les plus ardens, une semblable fantaisie nous semblera nécessairement passagère et peu digne d’un peuple éclairé. Une composition, moins originale que grotesque, passait pour éminemment romantique, si le merveilleux en était analogue à la faiblesse de quelques esprits qui pensent admirer lorsqu’ils sont seulement curieux, ou qui prennent leur trouble pour un effet de l’imagination. Il fallait aussi que le style provoquât l’attention avec un certain fracas dénué de justesse et d’harmonie. Il suffisait d’une déraison abondante en un sens, et d’un talent informe, pour être reçu parmi les adeptes[1]. Mais comment perpétuer l’avantage apparent de cette manière plus inconsidérée qu’audacieuse ? Elle captivait quelquefois parce qu’étant inaccoutumée, elle occasionait une sorte de surprise, moyen dont la durée serait contradictoire. Ce qu’aujourd’hui on se plait à vanter comme neuf ne le sera plus demain. Si le désordre romantique devenait ordinaire, vous en seriez par cela même désabusés ou fatigués. Dans tous les genres les caprices dont on est témoin peuvent amuser d’abord ; mais on en sent bientôt les inconvéniens, et on ne tarde pas à se reprocher cet oubli des convenances, ces distractions du goût. Avec un peu d’esprit, quelque invention, des momens heureux, et des jours de délire, on


    eux l’abus. Averti par d’aussi heureux exemples, bientôt l’on renoncera au projet de changer en jargon notre langue, aimée d’une grande partie de l’Europe.

  1. « On écrit d’un style extraordinaire, parce qu’on n’a que des choses ordinaires à dire. » Condorcet.