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Mais il n’appartient pas à tous les mortels de se rapprocher de la nature par la réflexion. Plusieurs d’entre eux pourraient trouver dans ces voies de nouvelles causes d’égarement, et lors même que la vérité ne deviendrait pas dangereuse pour eux, elle leur serait peu utile. Si toujours elle reste favorable à la multitude, c’est d’une manière moins directe. Sans la sagesse, on n’établira jamais d’institutions heureuses, et même sans un commencement de sagesse, on n’aurait que des lois fausses, ou des coutumes erronées : c’est en ce sens que la philosophie convient au peuple. Mais la sagesse personnelle semble n’être à l’usage que d’un petit nombre d’hommes, et quand le vulgaire veut imiter les sages, il abaisse la philosophie. Néanmoins ce n’est pas une nécessité de tous les temps que des classes nombreuses restent étrangères à la raison. Quelle fatalité a laissé corrompre le vulgaire ? l’absence de presque toute libre raison dans les rangs pressés du peuple, ce résultat jusqu’à présent infaillible de trois fléaux, de la cupidité, de la guerre, de la vieille industrie sacerdotale.

Si nous sommes disposés à nous arrêter dans les routes du vrai, s’il est des préjugés sur lesquels nous prétendions ne rien décider, et des passions que nous songions à ménager, si nous donnons pour