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LE NOTAIRE JOFRIAU

d’une nostalgie plus forte et sentant que son labeur régulier serait bien lent à lui faire atteindre la somme qui devait le libérer, il fit un pas lamentable dans la voie du crime. Des sauvages étaient venus à Tadoussac pour échanger des fourrures. Prickett les enivra, s’empara de leurs pelleteries et déserta avec le butin. Son intention était de vendre ces peaux afin de parfaire la somme fatale et rentrer plus tôt en Angleterre dont il n’avait plus le courage de vivre éloigné. Il attendit prudemment, pour disposer du fruit de son larcin, d’avoir dépassé Québec : il avait même, pour plus de sûreté, gagné la rive sud du fleuve. C’est ainsi qu’il atteignit Varennes où le hasard lui fit entendre, chez le notaire Jofriau, le chiffre qui hantait sa pensée. Il y avait vu une occasion d’entrer tout d’un coup en possession du montant fatidique, et l’on sait ce qui s’ensuivit.

La crainte d’être retracé ou de mourir de froid ou de faim l’épouvantait. Cet état de surexcitation et d’angoisse ne lui laissait plus la faculté de réfléchir et l’empêchait de voir quels risques il courait en se dirigeant vers Trois-Rivières. Le ballot de fourrures et le sac d’or qu’il y cachait pesaient à ses pas lassés. Il tombait d’épuisement, quand l’aube frileuse et pâle découvrit à l’horizon les premiers toits de la ville. Dans une suprême tension de ses forces défaillantes, il s’élança vers cette oasis, déterminé à y chercher une nuit de véritable repos et une nourriture substantielle.