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LE NOTAIRE JOFRIAU

cesser de préparer des contrats, me dit-il, pour se livrer à la rédaction d’un ouvrage de philosophie.

— Oui, je sais, il m’en a souvent entretenue. Pauvre papa, il s’est fait notaire par obligation ; au fond c’est un penseur et un écrivain. Il a accompli sa tâche et sa fortune est solide ; il va donc réaliser un projet longtemps caressé. Dites, Michel, vous lui aiderez en restant ? La clientèle habituée à traiter avec vous, ne s’éloignera pas ; vous êtes sûr de réussir.

— Vous me faites mal, Suzanne ; je ne puis m’empêcher de songer aux miens, à les revoir, à retrouver mon pays. D’autre part, j’ai contracté ici, une grosse dette. Et c’est ce duel entre ma reconnaissance envers vous tous et mon devoir filial qui me brise. Avec votre clairvoyance, vous vous en êtes aperçu.

— Il est si facile et si naturel de deviner la souffrance de ceux qu’on aime ! Mais il est pénible de ne pouvoir y apporter le soulagement qu’on voudrait.

L’accent de la jeune fille frappa singulièrement son cousin et il s’étonna de l’aveu tendre et passionné qui avait jailli spontanément, se dérobant à peine :

— Quoi ! Cette délicieuse créature aimerait le fils de René Jofriau, modeste censitaire d’un fief du lointain Canada ! J’aurais inspiré à Suzanne Duval-Chesnay, moi, Michel Jofriau, un sentiment plus fort et plus doux que l’amitié d’une cousine envers son cousin !

Ces réflexions rapides fusèrent dans son esprit tan-