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elle. On a pris la viande ! Un morceau de veau, blanc comme du poulet, pas un nerf, et pesant cinq livres ! »

Prudence lève son visage étincelant de colère ; elle parcourt de l’œil tous ses compagnons de route ; les Polonais désappointés, Mme Petitbeaudoit, stupéfaite, ne font naître aucun soupçon. L’air mielleux et placide de Mme Courtemiche éveille sa méfiance ; Chéri mignon a le museau gras, il y passe sans cesse la langue ; son ventre est gonflé outre mesure ; de petits morceaux de papier gras paraissent sur son front et sur une de ses oreilles.

« Voilà le voleur ! s’écrie Prudence. C’est ce chien maudit qui a mangé notre déjeuner, notre meilleur morceau ! un morceau que j’avais choisi entre cent chez le boucher, que j’avais fait rôtir avec tant de soin ! Messieurs les Polonais, vengez-vous ! »

À peine Prudence avait-elle proféré ces derniers mots, à peine Mme Courtemiche avait-elle eu le temps de frémir devant la vengeance qu’elle prévoyait, que les deux Polonais, obéissant à un même sentiment, s’étaient élancés sur le chien et l’avaient précipité sur la grande route par la glace restée ouverte.

La stupéfaction de Mme Courtemiche donna à la diligence, lancée au galop, le temps de faire un assez long trajet avant qu’elle, fût revenue de son saisissement. Un silence solennel régnait dans l’in-