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l’émeute projetée. On se poussait du coude, on riait sous cape, on se risquait même à chuchoter, tous les regards se dirigeaient furtivement sur Innocent, dont l’air benêt et les vêtements démesurément longs et larges provoquaient les malices de ses camarades. Le maître d’étude avait plusieurs fois levé des yeux courroucés sur ses élèves, mais ces derniers semblaient deviner l’instant où le maître les regarderait, et il n’avait pu encore surprendre un seul coupable. Innocent regardait aussi, sans comprendre la cause de ce désordre ; il souriait et ne prenait aucune précaution pour s’en cacher, précisément parce qu’il n’avait aucune part au complot. Il arriva que le maître surprit un regard d’Innocent, qui tournait la tête à droite et à gauche pour trouver le motif de la gaieté de ses camarades.

« Monsieur Gargilier, s’écria le maître, qui croyait avoir trouvé le coupable. Monsieur Gargilier, venez ici. »

Innocent se leva, mais, au premier pas qu’il fit il trébucha contre la table ; il se remit en équilibre, trébucha de nouveau, se débattit contre un lien qui le retenait à son banc et tomba le nez par terre. Ce fut le signal d’un tumulte général ; les uns se précipitèrent pour le relever, d’autres pour aider ceux qui le ramassaient, le reste pour changer de place et faire du bruit sous prétexte de le secourir. Le maître tapait sur son pupitre, criait : « En place,