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indifférente de la poussée, commença à s’indigner et à s’émouvoir quand elle vit la torture qu’on infligeait à Innocent. Paul, Louis et Jacques se concertèrent en un instant pour délivrer leur camarade ; il ameutèrent la classe, se mirent à sa tête, et, poussant un hourra formidable, s’élancèrent comme des lions, sur le groupe des pousseurs ; ils les tirèrent par leurs habits, par les jambes, par les cheveux, par les oreilles, les forcèrent à lâcher prise, arrivèrent ainsi jusqu’à Innocent, qu’ils trouvèrent haletant, sans parole, presque sans regard. Pendant que Paul, aidé de quelques camarades, emportait Innocent au grand air, Louis et Jacques menaient les amis au combat contre les grands élèves, qu’ils rossèrent et culbutèrent malgré leur force. Au plus fort de la bataille, mais au moment où la défaite des grands était constatée par une fuite générale, le maître d’étude et le maître de pension parurent, attirés par les cris étranges qu’ils avaient entendus. Innocent était couché par terre ; Paul aidé par trois de ses camarades, lui avait dénoué sa cravate, déboutonné son gilet ; ils lui mouillaient le front et les tempes d’eau froide qu’ils prenaient à la pompe ; les yeux d’Innocent étaient fermés, ses dents étaient serrées, ses mains raidies convulsivement ; son front était pâle et crispé.

La cour de récréation était un vaste champ de bataille ; de tous côtés on se battait ; des grands