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que j’aime cet excellent homme qui a tant fait pour moi, et qui a, je ne l’oublie pas, le pouvoir de détruire en partie ce qu’il a fait.

Lucas.

Pauvre Gaspard, je comprends ta vie ; je n’en voudrais pas pour un empire.

Gaspard.

C’est que tu ne la comprends pas ; compare ce que j’étais avec ce que je suis. Je me vois encore sortant d’ici en blouse, en sabots, timide, gauche, ne sachant rien.

Lucas.

Comment, rien ? Tu étais le plus savant de l’école !

Gaspard.

Pauvre science ! Je ne savais rien auprès de ce que je sais maintenant. Et me voici fils d’un millionnaire, commandant à des milliers d’individus, salué, obéi et respecté dans tout le pays, roulant carrosse, arrivant chez toi dans un équipage superbe ; attendu et désiré chez moi (car j’ai un chez-moi maintenant), reçu avec un sourire amical et bienveillant qui m’annonce la solidité de mon pouvoir : tout cela, vois-tu, est mon paradis en ce monde.

Lucas.

Un nouveau venu intelligent peut gâter tout cela, et venir te supplanter près de ton nouveau père.

Gaspard.

Non, j’y veille sans cesse et j’y veillerai toujours