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Marcha le dos courbé sous ce faix honorable ?
Que n’ai-je à tous les siens fait souffrir mille morts,
Déchiré sur les flots et dispersé son corps,
Massacré son Ascagne ; et poussé ma colère
Jusqu’à faire manger ce cher fils à son père ;
Peut-être le péril eût retenu mon bras.
Qui pouvait m’étonner résolue au trépas ?
Il fallait dans ses nefs réduire tout en flamme,
Pour la seconde fois anéantir Pergame ;
En exterminer tout, père et fils égorger,
Et mourir en goûtant l’aise de se venger.
O Soleil qui vois tout, et toi, grande Déesse,
Junon, cause et témoin de ma noire tristesse,
Toi triple Déité, dont le puissant secours
Est invoqué la nuit au milieu des carfours ;
Vous implacables sœurs, ministres des vengeances,
Vous qu’en mourant j’invoque, infernales puissances :
Voyez mon infortune, oyez ma triste voix,
Et recevez mes vœux pour la dernière fois.
Si la nécessité du destin immuable,
Si du grand Jupiter l’arrêt irrévocable
A résolu qu’un jour le traître arrive au port,
Et que déjà le terme en soit pris par le sort,
Que la fureur d’un peuple indomptable à la guerre
Par de sanglants combats lui dispute sa terre.
Qu’arraché de son fils par le pressant danger,
Il aille mendiant un secours étranger.
Qu’il pleure de ses Chefs les tristes funérailles ;
Enfin si quelque jour aux cruelles batailles
Succède le repos d’une honteuse paix,
Que son perfide cœur n’en jouisse jamais :
Qu’il finisse soudain son infâme aventure,
Et dans quelque désert, meure sans sépulture.
Tel est mon dernier vœu, le finissant je meurs,