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du mariage, qu’ils ont l’air de bien s’amuser sans contrainte ni contrat !

Je regarde passionnément mon épouse, moi ; je regarde ma belle Policière, Élue provisoire, maîtresse-postiche… Elle ne s’amuse certainement point. Elle remplit auprès de moi une fonction honorable. Elle a dormi beaucoup aujourd’hui, pour être si naturellement éveillée ce soir. J’ai des scrupules à troubler cette sérénité si… professionnelle. Pourtant, voici qu’elle consent à s’asseoir à peine, comme on embrasse du bout des lèvres, sur la pointe extrême de mon genou. Oserai-je ? De ses pieds à la ceinture, rien à prétendre. De son cou, hautement cravaté de soie, à la ceinture, rien à espérer non plus. Reste la ceinture, zone chaste, dépolie et mate au toucher, ni tiède ni chaude sous la jaquette à la mode, à pans droits. Sans grand espoir, je caresse la zone. Mais tout d’un coup, voici la propriétaire du terrain, debout, indignée… Maladresse de ma part, ou empiétement ? — Non. Ma Policière désigne et accuse la cloison, faite surtout de nombreux interstices… Et en effet : nous sommes, à travers la paroi, épiés, dénombrés, considérés à loisir par des yeux malicieusement européens : nous faisons la joie de ces dames mariées. Elles nous envient ? plutôt nous ridiculisent d’être si prudes, à cette heure, et si peu avancés… J’ai quelque envie de rendre par le regard œil pour œil. Je sais bien que tant de bruit et tant de rires ne va pas sans quelques aban-