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— C’est que les autres ont emporté le corps, m’explique René Leys. Le Régent lui-même n’a rien vu.

J’ai bel et bien raté mon attentat ! J’aurais dû suivre à toute allure le cortège. C’est ce diable de Sosie qui m’a valu ce retard… Je dis en plaisantant à René Leys combien je le félicite de ses nouvelles fonctions : Grand Suiveur à la Garde Impériale. Je le complimente de monter avec tant d’aisance les poneys mandchous sellés à la chinoise. Je me promets, quelque jour, de m’en aller le voir défiler de nouveau… Et j’attends quelque impertinence… une dénégation…

René Leys ne nie rien, et ne se renie pas. Il prend toutefois quelque temps avant de répondre :

— Vous ne me verrez plus défiler dans l’escorte : je viens d’être nommé… ailleurs.

Et il se remet à bavarder, avec trois convives à la fois, bien avant que j’aie pu lui demander quelles étaient ces fonctions d’ « ailleurs ». Le voici engagé dans une partie de « doigts montrés », et échangeant avec le « Premier fils historique » des gestes vifs, des chiffres jetés comme aux enchères, l’œil prompt à saisir le nombre surgi afin d’ajouter juste assez pour faire « dix ». Et le perdant boit. René Leys gagne à coup sûr, et boit peu. Je joue assez mal et bois bien. — Que ce vin de roses est tiède ! Que ma courtisane est tiède aussi ! mais si pleine d’attentions… réservées… Quelle décence dans ce festin ! Quelle décence…